Les Cités Jardins et la Cité Jules Nadi
Il existe aujourd’hui, dans beaucoup de villes, des quartiers composés partiellement ou entièrement de maisons dites sociales.
Ce terme n’a rien de péjoratif. Il désigne des maisons construites à la demande des pouvoirs publics pour des personnes dont les revenus, insuffisants, ne leur permettent pas de se loger ou d’accéder autrement à la propriété.
Les cités sociales trouvent leur origine dans la volonté des pouvoirs politiques locaux, en particulier dans les zones industrialisées, de se substituer aux initiatives privées défaillantes pour offrir à tous, un logement décent.
La construction des cités sociales n’est cependant pas qu’un simple projet philanthropique. Pour les pouvoirs publics, il s’agit, en offrant aux classes laborieuses des logements de qualité, de combattre la prolifération des taudis. Pour obtenir l’adhésion des travailleurs à ce projet, leur offrir un logement semble une priorité. C’est aussi la raison pour laquelle se sont surtout construites des maisons uni familiales. Les cités sociales forment habituellement des ensembles de faible dimension, mais il peut s’agir aussi de quartiers entiers, composés de dizaines, voire de centaines de maisons, parmi lesquelles s’insèrent parfois des immeubles à appartements.
Les premières cités sociales, celles qui datent du début du XXe siècle, se composent habituellement de séries de maisons mitoyennes, souvent à un ou deux niveaux, alignées le long ou de part et d’autre d’une rue. Plus tard elles prendront l’apparence de petits groupes d’habitations dotées d’un jardin à l’arrière et précédées d’un parterre en façade, à l’instar des cités-jardins.
L’architecture des maisons est assez stéréotypée, sans être pour autant dénuée de toute valeur esthétique. Certainement, par souci d’économie, la construction fait appel aux mêmes plans, aux mêmes matériaux, aux mêmes éléments décoratifs. Les maisons forment donc des ensembles homogènes.
L’organisation intérieure des maisons se conforme à un même modèle. L’observation attentive de la façade permet d’imaginer la distribution intérieure.
• Implantation de la Cité Jules Nadi dans Romans.
Elle est située à l’extérieur de la ville, dans la seule direction où il y avait de la place, dans un espace rural, au grand air, mais éloignée de toutes commodités. Ceci a certainement expliqué le peu d’empressement de la population à venir s’y installer.
Lors de l’implantation de la Cité, il n’y a aucun commerce. Des habitants se souviennent encore que le boulanger passait, peut-être Pascalis pour certains, le laitier aussi avec sa charrette, l’épicier Félix de la rue Palestro, le charcutier Chartier et même le marchand de glaces Bologne. Le premier commerce qui s’installe est une boulangerie, située à la place de l’ancien CID, tenue par la famille
Abisset et un café tenu par la famille Bertrand, situé à l’angle du boulevard Gignier, à la place de la boulangerie Sapet fils. Ce café sera d’ailleurs le siège de nombreuses réunions et lieu de rencontre où, autour du « petit rouge », on devait refaire le monde. Quelques années plus tard, un Casino sera édifié à l’angle de la rue Duré et la rue Pailheret.
Cet éloignement a-t-il été un facteur de rapprochement des habitants ? Il a suscité, de toute évidence, la volonté de s’organiser et de créer l’identité :
« Cité jardin Jules Nadi »
Henri SELLIER, secrétaire général de l’Office des HBM (habitations à bon marché) dit :
« L’urbanisme social se doit d’organiser un meilleur aménagement de l’humanité, vers un niveau de lumière, de joie et de santé… »
Quelques chiffres sur les coûts de la réalisation de la Cité Jules Nadi : ces informations ont été fournies, par le maire M.Bonnardel, lors d’une assemblée du Groupement des Locataire tenue le 26 janvier 1930 :
« …pour la Cité, la valeur d’une habitation était fixée à 25 000fr, mais l’État n’autorise qu’une dépense de 21 000fr, ce qui nous oblige de modifier le plan pour ne pas dépasser cette somme. En 1926, ils ont accepté de faire 112 maisons pour 3 308 000fr, mais l’augmentation des matériaux porte la dépense à 4 319 300fr, sans cave ni grenier…»
• Disposition des maisons.
Appelé aussi pavillons, dans certaines régions, ces maisons doivent être à la fois conformistes mais personnalisées. A la Cité, bien le nombre de modèles soit important, il semble que le plaisir des yeux y ait été conservé, malgré le coût de la construction. Nous ne l’avons pas encore évoqué jusqu’à présent, mais ces maisons locatives devaient, au terme d’un certains nombres de mensualités devenir la propriété des locataires. La loi votée n’a jamais été mise en application.
Des témoins disent que la seule offre qui fut faite tardivement, fut tellement dissuasive, en ce qui concerne « le bouquet », et que tout le monde est resté locataire.
Les différentes recherches qui ont été faites, semblent montrer que les maisons des Cités Jardins, quelle que soit la ville, se ressemblent toutes et plus particulièrement celles dont l’architecte est Marcel Fournier. Nous retrouvons certaines ressemblances à Reims, à Cachan, à Lens etc.…
Les maisons sont mitoyennes, et les murs de clôtures sont remplacés par des haies ou de petites barrières basses, qui facilitent la communication entre les voisins.
Les alignements ne sont pas toujours respectés, la courbure des rues est courte et serrée. Les maisons sont souvent regroupées autour de petites places.
Les maisons sont encadrées par deux jardins. Un des jardins en façade donne sur la rue, c’est le jardin d’agrément avec fleurs et parterre. Ce jardin est à la fois décoratif et utile.
L’autre jardin se trouve derrière la maison, c’est le jardin potager pour permettre un complément non négligeable de produits frais et de denrées alimentaire. Quelques témoins signalent l’importance de ces jardins, la chance de pouvoir cultiver des légumes et plus particulièrement pendant la crise de 1936.
Vue de la Cité
Bien que la surface des logements soit relativement modeste, c’est une amélioration évidente pour certains locataires qui vivaient auparavant dans des logements exigus et vétustes.
A noter que chaque maison comporte une cuisine avec évier et eau courante, un WC à l’intérieur, ce qui pour bon nombre d’habitants de la Cité représentait un confort nouveau.
Chaque maison possédait, à l’extérieur, un bassin. Ces bassins seront utilisés pour y faire la lessive et certains témoins diront qu’il n’y faisait pas bon l’hiver. Pour beaucoup d’habitants, c’est quand même une nette amélioration de ne plus faire cette tache domestique dans la cuisine par exemple, mais ce bassin servait aussi pour puiser de l’eau pour l’arrosage des jardins.
• Les liens sociaux.
Pour faciliter la vie des habitants, le bureau de l’Office se trouvait au cœur de la Cité et chaque début de mois, les locataires venaient payer le loyer, en argent liquide, et signer le registre « Titre de recette ». Il y avait deux montants pour les loyers :
- 117 francs pour quatre pièces.
La présence du représentant des HBM facilitait certainement les échanges entre les locataires qui se rencontraient dans ce lieu, mais il pouvait aussi simplifier les diverses démarches administratives des uns et des autres. D’anciens locataires de la Cité ont confirmé que lorsqu’il y avait à faire des travaux, ils demandaient à M.FINET, qui était au bureau de l’Office, de venir voir et donner son accord et souvent même on s’arrangeait pour le loyer du ou des mois à venir, en fonction du chantier.
Une description de la place où se trouvait l’Office en 1947.
’’ À QUAND NOTRE PLACE…
Comme ravagée par une taupe gigantesque, notre place n’est plus que trous et bosses au milieu desquels serpente un étroit sentier encombré de pierres créé par la passage journalier. Tout le monde se souvient des fêtes qu’il était possible d’organiser avant la guerre.
Cette belle place entourée de lilas qu’ombrage une ceinture d’acacias, serait pour les enfants un lieu d’amusement à l’abri de tous dangers et pourrait devenir pour les aînés de superbes jeux de boules, évitant ainsi la fréquentation des cafés toujours préjudiciable.
Ce n’est pas un rêve, car nous faisons tous nos efforts pour en obtenir de la ville le déblaiement…
Il faudra que cet été plus un caillou ne vienne détourner la boule de nos pétanqueurs si toutefois la passion ne s’est pas perdue…’’
• Population de la Cité Jules Nadi.
Nous avons peu de renseignements précis quant à la façon dont les appartements ont été alloués. Quelques informations semblent indiquer que le Docteur Barlatier a été l’un des « pourvoyeurs » et que « le bouche à oreilles » au sein des entreprises ai bien fonctionné.
Au recensement de 1931, sur 112 logements, il est comptabilisé 477 occupants (dont 210 enfants), 57 chefs de famille sont des employés en chaussure (20 chez Fenestrier, peut être la proximité), 7 sont cordonniers et 2 sont tanneurs.
Beaucoup d’épouses sont aussi ouvrières en chaussure, et souvent travaillent dans la même entreprise que les maris.
La lecture de la liste électorale de la Cité en 1946 fait ressortir que 65 votants de la Cité sur 115 habitants travaillent dans le monde de la chaussure et du cuir, situation logique dans le contexte de la ville.
On note aussi la présence de 6 familles italiennes.
Pour avoir une petite idée de la vie de la Cité, un texte lu dans le n°1 de janvier 1947 de « L’écho des Cités », journal de la Cité Nadi, édité par la cellule Maurice THOREZ :
’’ RETROSPECTIVE…
19 ans ont passé durant lesquels nos cités se sont de plus en plus transformées en petit village ayant sa vie propre, à côté de la ville. La solidarité y a grandit. Pas de malheur ou joie chez un, sans que l’ensemble y prenne part…’’
• Qu’en est-il aujourd’hui ? Reste-t-il des familles d’origine ?
En 2006, avec l’aide d’un habitant de la Cité, nous avions pu dénombrer la présence d’au moins 29 locataires des premières années ou de leurs enfants. A l’époque la doyenne, âgée de 97 ans et décédée depuis, habite la Cité depuis 1929. Aujourd’hui, encore les jardins sont toujours très agréables et très fleuris. Les parties de boules continuent. Dés les premiers rayons de soleil, les boulistes font leur apparition sur la place. Lors des manifestations scolaires (kermesse du mois de juin), les habitants du quartier répondent toujours présents. Certains habitants, ont même repris le chemin de l’école, pour accompagner, ou chercher leurs petits enfants.
Malgré tous les problèmes, il a été facile de constater, par les nombreux témoignages. La Cité jardin a été appréciée par la plupart des ouvriers. Elle a permis de vivre dans l’hygiène (notamment avec l’eau courante), les maisons étaient plus saines, plus spacieuses aussi. Elle a permis de vivre en harmonie, elle a pu également préserver la vie privée des personnes, il suffit d’écouter les témoins vivants de cette époque et surtout leurs enfants.