Eté 1836, Diodore Rahoult observe Romans.
Par JM Vacher.
Chronique de l’Association « Sauvegarde du Patrimoine Romanais Péageois » publiée dans le journal l'Impartial du 2 juin 2011.
Portrait de Diodore Rahoult.
Ferme Favor. Dessin de Diodore Rahoult.
Le jeune artiste grenoblois Diodore Rahoult parcourt le Dauphiné à pied, à la recherche des paysages et des monuments anciens de la région, suivant le goût romantique du temps. Après un séjour dans le Royans, il séjourne à Romans entre la fin août et la mi-septembre 1836, comme le révèlent les dates notées sur ses différents dessins. Une mention manuscrite « l’abbaye et la maison de mon ami » portée sur une vue de St Barnard, du Pont Vieux et de la rive droite de l’Isère nous laisse supposer qu’il réside chez un ami, rue Pêcherie.
Ses nombreux dessins de Romans, on en connait plus de quarante, nous donnent à voir différentes parties de la ville encore enserrée dans ses hauts remparts du XIVème siècle :
- Les dessins des six portes de la ville.
Les portes de(s) Chapelier(s), de Clérieu(x), de Bonnevaux, de Jacquemart, les portes Bistour et St Nicolas, ainsi que la Brèche, dispositif permettant le franchissement de l’enceinte par la Savasse.
- Une vue de la rive droite de l’Isère depuis Bourg de Péage.
Les maisons surplombent l’Isère, le quai Dauphin, à l’aval du Pont Vieux, ne sera construit qu’à partir de 1860 à la suite de la terrible inondation d’août 1854.
- Une deuxième vue depuis Romans, à l’amont du pont Vieux.
Il n’y a pas encore de quai à l’amont de Saint Barnard. Un bateau de transport des marchandises à fond plat dit penelle est amarré sous le quartier St Nicolas confirmant que la navigation est active au XIXème siècle et que c’est ce quartier que fréquentent essentiellement les mariniers.
- Une vue d’ensemble de la collégiale St Barnard.
On remarque, sur la pile nord du Pont Vieux, la Chapelle Notre Dame et le petit hôpital désaffecté dit Jacinières, où étaient accueillies les femmes en couches. Chapelle et hôpital seront détruits vers 1856 pour permettre l’élargissement du pont.
- Le dessin de l’intérieur du cloître de Saint Barnard.
Ouvert au public, il autorise le passage entre la place du Merlet, ancien cimetière au Sud et à l’Est de St Barnard et le Pont Vieux. Ce cloître sera démoli vers 1860 par la ville contre l’avis des Monuments Historiques, pour permettre la continuité du quai.
- La vue de la tour de Jacquemart la montre juchée sur un monticule non aménagé, tandis qu’un pan de mur, ayant appartenu à l’ancienne prison Mont-Ségur, qui vient d’être détruite, s’appuie encore sur la tour.
- La vue générale de Romans depuis le haut de la côte des Chapeliers a conservé l’allure générale que l’on peut encore apprécier aujourd’hui.
- Le dessin de la porte St Nicolas est accompagné d’une représentation d’un four à chaux dont la curieuse forme tronconique se termine par une cheminée. Le docteur Ulysse Chevalier dans son « Histoire des rues de Romans » indique en effet que : « La nouvelle route de Grenoble, construite en 1720, était bordée du côté nord de plusieurs fours à chaux. Elle servait de but de promenade aux personnes malades de la poitrine qui éprouvaient un soulagement en respirant les vapeurs carboniques qu’exhalaient les pierres calcaires désagrégées par le feu ».
Patrimoine romanais
Le dessin ci-dessous livre une vue générale depuis le faubourg Clérieu (bas de la rue Berthelot). Au centre, un rideau d’arbres marque le lit de la Savasse. A sa gauche, le rempart crènelé de 30 pieds de haut, (9 à 10 mètres) dont il ne reste aujourd’hui qu’un pan vers l’hôtel des impôts, rejoint l’impressionnante porte de Clérieu surmontée de mâchicoulis.
Le rempart se poursuit vers la tour St Georges en surplombant un talus et un fossé (actuelle côte des Poids et Farines) ; Au-delà, un nouveau tronçon de l’enceinte conduit à la porte Bonnevaux, tandis qu’au loin, on aperçoit d’autres portes et le sommet de la tour Jacquemart. Ces deux tronçons du rempart n’ont pas subi les ouvertures (huit brèches de 3,5 m de large) pratiquées en 1832 pour assainir la ville menacée par une épidémie de choléra.
Derrière le rempart, on ne distingue bien que le quartier populaire de la Pavigne surplombant le haut du quartier de la Prêle, centre industriel de la ville où s’entassent tanneries, mégisseries, teintureries, foulons et moulins à farine et à huile animés par la force motrice du canal de la Martinette.
Diodore Rahoult a probablement été influencé dans son entreprise par l’œuvre des deux artistes réputés de Grenoble, Alexandre Debelle et Victor Cassien qui ont illustré les quatre tomes de l’Album du Dauphiné, parus chez l’éditeur Prud’homme, entre 1835 et 1839.
Il n’a pas 17 ans lorsqu’il vient à Romans, son trait est déjà assuré et les proportions assez bien respectées. Il ne cède pas à l’usage de certains dessinateurs et graveurs de son temps qui n’hésitent pas à exagérer la dimension verticale pour donner une impression plus grandiose à leurs représentations.
Ayant échoué à son baccalauréat de philosophie, il va s’orienter vers une carrière artistique. Avec son ami Henri Blanc Fontaine, il « monte » deux ans à Paris pour suivre les cours de Léon Cognet. En 1845, il part pour l’Italie, passe à Naples et s’installe à Rome puis, malade, il rentre à Grenoble en 1847 où il vend quelques lithographies et envoie des tableaux dans diverses expositions à Grenoble et à Lyon. Dessinateur et peintre de la nature et des gens simples, il acquiert une réputation et les commandes viennent qui lui permettent de vivre.
Dès 1848, il est aux côtés de Théodore Ravanat et d’autres peintres grenoblois. A partir de 1863, il intègre le groupe qui suit régulièrement Ravanat à Proveysieux, petit village du sud de la Chartreuse, le « Barbizon » grenoblois où de nombreux peintres se retrouvent à l’Auberge « des Grandzgousiers » les dimanches de la belle saison. Il meurt brutalement à 55 ans, alors qu’il devise joyeusement au Cercle Teisseire de Grenoble, au milieu de ses amis.
Les dessins du jeune Diodore Rahoult sont précieux pour la connaissance de Romans de la première moitié du XIXème siècle. Quelques décennies avant la photographie, ils complètent avantageusement les vues générales contemporaines dressées par Alexandre Debelle et Victor Cassien pour le premier Album de Dauphiné (1835) et quelques autres rares dessins et gravures de cette époque. Ils donnent, pour les secteurs dessinés, la troisième dimension qui, quelque soit sa précision, manque au Cadastre napoléonien de 1819.
Jm Vacher - Mai 2011
Sources
- Souvenir de 36 jours de vacances ou voyage dans les environs de Grenoble, dessins de Diodore Rahoult R.9812 (11) Rés. Collection Bibliothèque municipale de Grenoble
- Diodore Rahoult, reproductions de dessins - Archives communales de Romans 3 Fi
- Wantellet Maurice, 1987, Deux siècles et plus de peinture dauphinoise, Grenoble, édité par l’auteur
- Conservation du Patrimoine de l’Isère, Musée de l’ancien Evêché, 2003, Exposition « Peintres de Proveysieux», Grenoble.
- Docteur Chevalier Ulysse, 1900, Histoire des rues de Romans, Communication-Curandera
- Cadastre napoléonien de Romans, 1819, Archives départementales de la Drôme.