Les pommes de terre nouvelles de Mours
Seuls, les anciens ont pu acheter, jusque vers 1950-1955, sur le marché de Romans, les pommes de terre primeurs de Mours, obtenues sans utiliser une serre.
Les conditions naturelles du terroir le permettaient. La colline, au nord du village, protège de la « bise » et non du mistral. Ce sont les météorologues qui ont imposé le terme provençal de « mistral », nullement dauphinois. Au pied du versant raide, le ruissellement a étalé dans la plaine le sable arraché à la molasse, roche tendre. On a ainsi des sols légers, se réchauffant rapidement à la fin de l’hiver.
Ces conditions locales favorisaient donc les cultures précoces. Les petits paysans de Mours ont pu, ainsi, cultiver des primeurs mais au prix de combien d’attention ! Avant de planter les pommes de terre, la germination était hâtée en les plaçant dans un lieu humide et tiède. Pour une petite quantité, le meilleur endroit était le haut du buffet de la cuisine.
Au cours de l’hiver, le sol avait été préparé à la bêche ou à la charrue, tirée souvent par un unique et jeune mulet travaillant aisément dans ces sols légers. Les tubercules étaient soigneusement enfoncés afin d’éviter la cassure des germes. On était alors dans les derniers jours de février.
Plus loin et plus bas, dans la plaine, du côté de Romans, on se gardait bien de planter si tôt car les gelées étaient plus tardives.
Dès la fin d’avril, la veille des marchés romanais, l’agriculteur, sans attendre davantage, arrachait les premières pommes de terre avec le « béca », pioche à deux dents.
Derrière lui, sa femme et ses enfants les ramassaient puis les lavaient. Ces premières pommes de terre étaient petites mais si appétissantes ! A quoi bon attendre davantage pour récolter de grosses pommes de terre dont le prix serait bien moins rémunérateur.
Le lendemain matin, les épouses des producteurs descendaient au marché, rue Mathieu de la Drôme, et s’installaient de chaque côté de la rue.
De nombreux acheteurs attendaient leur tour avec impatience et les cagettes se vidaient rapidement.
A la fin de la matinée, on remballait le petit matériel nécessaire à la vente, souvent confié au commerçant le plus proche qui le remisait dans l’arrière boutique. Ce service était récompensé par une douzaine d’œufs ou par quelques primeurs moursoises.
La situation actuelle est différente ; le marché du mardi a presque disparu, ceux du vendredi et du dimanche n’ont plus qu’une seule rangée d’étalages de fruits et de légumes plus variés. Les producteurs locaux qui vendent eux-mêmes leurs légumes sont devenus rares.
A Mours, le paysage a changé. Les cultures ont laissé la place à des villas dont les propriétaires contemplent au loin la plaine, encadrée, du côté du soleil levant, par les Monts du Matin et, au couchant, par les plateaux du Vivarais.
Mais les pommes de terre primeurs locales ont-elles vraiment disparu ? Désormais, elles poussent sous de longues serres en plastique ; ont-elles toujours la même saveur ?
La Sauvegarde du patrimoine romanais et péageois Jean-Pierre Devoize