Paul Brunat. Une histoire en soie.
Texte de la conférence du 05 mai 2011.
De Paul Brunat, de Bourg de Péage
à TOMIOKA au Japon
une histoire en" Soie ".
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Introduction Les origines de Paul Brunat. * Paul Brunat est né le 30 Juin 1840, à Bourg de Péage. Quatrième enfant d’une fratrie de cinq. Nous voyons que c’est une famille solidement enracinée dans notre région et à Bourg de Péage en particulier. Pourquoi, aujourd’hui, parler d’une histoire « en Soie » ? Ulysse Brunat, père de Paul Brunat, possède une filature de cocons, installée en 1839, rue des Teppes, à Bourg de Péage. Tout de suite il la mécanise. A l’exposition des produits de l’industrie de la Drôme, il obtient la médaille de bronze, dans la catégorie « soies filées et ouvrées ». Cette récompense lui amène la prospérité. Une ordonnance royale du 22 Mai 1843 « lui donne l’autorisation d’installer une chaudière… » dans l’usine pour améliorer le dévidage des cocons. Dès son plus jeune âge, il a vécu dans le milieu de la soie et des filatures. Il a connu les techniques modernes (utilisation de la machine à vapeur) qu’il a importées au Japon. Il est né dans un milieu intellectuellement favorisé. Son père a fait ses études au collège de Romans Bourg de Péage. Un document de 1817 indique que son père Ulysse Brunat a le premier prix en thème et en version. Entre 1858 et 1860, Paul Brunat aurait été élève boursier au Lycée de Dijon comme l’indique un relevé de carrière de son père, employé au chemin de fer. Carrière de Paul Brunat.
D’autre part à la lecture de documents « Contrôle et surveillance des chemins de fer », datés de 1861,1862 et 1863, nous avons des informations sur sa famille et plus particulièrement sur Paul Brunat. Il est écrit qu’il est employé dans une maison de commerce à Cadix. Après Cadix…que s’est-il passé ? Dans le livre « Le Japon et la France, Images d’une découverte », nous relevons « … Paul Brunat avait, avant d’être recommandé aux Japonais, travaille pour le compte d’un commerçant allemand, Heimer, établi à Yokohama». Sous l’ère Meiji, tous les projets français en cours ou inachevés sont repris. Napoléon III incite les Français à aller moderniser le Japon et à exporter leurs compétences techniques. Leur mission consiste à transmettre le savoir faire sans se substituer aux industriels japonais. Dans ce but, de nombreux experts étrangers sont engagés à prix d’or. Leur salaire est parfois trois ou quatre fois, supérieur à celui des ministres. Dès 1864, la France engage une véritable politique de rapprochement et de coopération avec le Japon, qui devient un fournisseur et un partenaire incontournables. Cela répond à l’éthique « wakon yôsaï » c’est à dire « âme japonaise, science occidentale » (Fukuzawa Yukichi). Un des chantiers les plus importants, s’ouvre en 1866 avec la construction de l‘arsenal de Yokosuka, premier chantier naval moderne, sous la supervision de Léonce Verny, natif d’Aubenas. Paul Brunat et le Japon.
Au cours de l’année 1870, un traité avec la France est conclu pour la construction d’une filature. Les établissements Hecht, Lielienthal et Mr Dubousquet, interprète de la légation française présentent aux autorités japonaises Paul Brunat. En juin 1870, un contrat provisoire lui est proposé pour construire et diriger la première grande filature d’Etat. Il n’a alors que trente ans. Il le signe définitivement le 29 novembre 1870 avec le ministère des finances du Japon. Bien que satisfait, notre péageois ressent, néanmoins une certaine frustration, car il devra retourner en France pour acheter les outils nécessaires à cette filature. Il ne pourra pas suivre la totalité des travaux. Avant de regagner la France, il part en repérage dans la province de Gunma à la recherche d’un emplacement.
En novembre 1870, le terrain est acheté, dans cette province, à Tomioka, à proximité d’une mine de charbon, près d’une rivière. Paul Brunat fait appel à l’architecte Edmond Auguste Bastien (1839-1888), collaborateur de Léonce Verny, avec qui, il a participé à la réalisation de l’arsenal de Yokosuka. En cinquante jours les plans de la nouvelle fabrique sont exécutés, les devis sont établis. Début 1871, la construction commence. Grande nouveauté, l’utilisation de la brique que Paul Brunat a apportée avec lui…La construction de Tomioka, est de style étranger, mais avec une empreinte japonaise…structure en bois sur un soubassement en pierre. Il revient en France et à Lyon pour acheter les machines, recruter le personnel français qualifié, deux ingénieurs : Justin Bellen et Paul Prat, quatre ouvrières fileuses : Marie Charay, Louise Monier, Clorinde Vielfaure et Alexandrine Vallent et trois fileurs : Louis Bourguignon, Charles Lescot et Jules Chatron pour encadrer et former les Japonais aux techniques occidentales. Mme Inazuka nous donnera toutes les explications sur ces nouvelles techniques utilisées pour la construction de la filature de Tomioka. Paul Brunat profite de ce séjour en France pour se marier. Février 1872, Paul Brunat et son épouse regagnent le Japon. La construction de la filature est déjà bien avancée. Les travaux sont achevés en juillet 1872. Elle sera inaugurée le 4 novembre 1872. Une anecdote, « lorsque, des énormes machines, jaillit la première fumée noire, les habitants de Tomioka parurent moins intéressés qu’effrayés. Des rumeurs circulaient sur ces étrangers aux coutumes bizarres. Elles s’étaient répandues dans toute la région et compromettaient l’embauche des ouvrières fileuses. Il était même raconté que les français étaient des buveurs de sang, en réalité ce n’était que du beaujolais… ». Le gouvernement japonais dut faire engager, de force, les filles des fonctionnaires Samouraï qui avaient servi sous le régime précèdent…et, c’est ainsi qu’une centaine d’ouvrières permit le démarrage de la production en 1872. Un second motif de satisfaction pour Paul Brunat, la naissance de sa première fille Marie, Jeanne, Joséphine, Magdeleine au lieu dit « village de Tomioka ». En Juin 1873, la filature est en plein rendement. On dénombre 402 fileuses. En juin de la même année, sa majesté l’Empereur et l'Impératrice du Japon visitent officiellement la filature et apportent leur caution à cette usine qui servira de modèle national. Wada Ei fille d’un samouraï et une des premières employées, tenait un journal sur la vie dans la filature. Un passage a été traduit par Monsieur Ko, ici présent, que je remercie vivement. « Lorsque l’empereur pénètre dans l’usine, un silence religieux l’accueille. Il s’avance lentement suivi de l’impératrice. Tous deux, vêtus de l’habit d’or, impressionnent le monde des ouvrières. Paul Brunat et son épouse s’avancent. Mme Brunat s’appuie légèrement sur le bras de son époux. De taille moyenne, elle incarne à la perfection l’élégance naturelle et la beauté des femmes de Paris. Une longue tunique de mousseline transparente blanche, brodée de fleurs de cerisier, est drapée sur une robe rose qui met en valeur une taille resserrée, au galbe parfait, qu’une ceinture blanche dessine discrètement. Son visage est comme protégé par une légère voilette. Ses longs cheveux, retenus par une résille, sont coiffés d’un chapeau dont les rubans et les nœuds rappellent les motifs de la tunique. La gracieuse et respectueuse révérence qu’elle accomplit devant le souverain ajoute à la qualité de cet instant ». A dater de ce jour, on vient se former aux « méthodes modernes » à Tomioka. C’est certainement la plus grande filature mondiale à cette époque. Mais surtout ce sera le modèle sur lequel 600 autres filatures seront construites au Japon. En 1873, la qualité de la soie grège de Tomioka devenue la meilleure du pays, remportera le deuxième prix à l’Exposition universelle de Vienne, en Autriche. Paul Brunat termine sa mission au Japon. Il partira le 15 février 1876 en Chine, il s’installera à Shanghai où il dirigera un service d’exportation de soie. Pourquoi, peut-on dire que Paul Brunat « Star au Japon », est à l’origine de la modernisation des filatures de ce pays ? Jusqu’à son arrivée, le tirage de la soie s’effectuait dans les fermes familiales ou dans de petits ateliers. D’une seule bassine ne sortait qu’un seul fil de grège. Par ce procédé, il est obtenu un fil régulier, de grosseur uniforme, et d’excellente qualité. Pour la construction de la filature de Tomioka, il semble que Paul Brunat, se soit inspiré des « usines pensionnats » de la région Rhône Alpes du XIXé, Louis Blanchon à Saint Julien Saint Alban, Claude Joseph Bonnet à Jujurieux, Montessuy et Chomer à Renage, La Galicière à Chatte, les établissements Sanial à Bourg les Valence… Paul Brunat Shanghai et le Tonkin.
En 1874, on ne comptait que sept maisons françaises à Shanghai dont cinq lyonnaises. Les lyonnais ne sont pas très attirés par la Chine, ils pensent que la soie chinoise est de mauvaise qualité. En 1876, à la fin de son contrat au Japon, Paul Brunat est recruté par une firme américaine, Russell & C°. Il travaille à Shanghai, essentiellement pour faire du commerce, acheter de la soie grège. 1877, 1878, Paul Brunat est président de l’Union des marchands. Il est reconnu pour sa grande intelligence commerciale et sa loyauté en affaires. 1878, la compagnie Russell & C° relance une filature mécanique, la Kee Chong Filatures Association. Elle est équipée sur le modèle des filatures européennes. Paul Brunat doit initier les ouvriers au tissage des cocons. Cette firme américaine connaît la prospérité et s’agrandit considérablement au début 1880. 1881, 1882 Paul Brunat est président de la mission commerciale des chambres de commerce de France. En 1883, des tensions franco-chinoises provoquent des mouvements de troupes et le consul signale « …le commerce est arrêté et les faillites sont nombreuses ». Il ne reste plus que dix-huit français dont huit sont originaires du Sud-Est. C’est un peu la panique, mais Paul Brunat reste optimiste. En 1884, Paul Brunat avait décidé de quitter Shanghai quand… A la demande de la Chambre syndicale des soieries de Lyon, la Chambre de commerce et de l’industrie de Lyon, décide l’envoi d’une mission française au Tonkin. Il s’agit de prospecter, d’offrir aux fabriques lyonnaises une facilité d’approvisionnement en matière première et de susciter le développement de courants commerciaux avec la métropole. Le cadre d’étude est tracé, de nombreuses CCI se joignent à celle de Lyon : Bordeaux, Rouen, Marseille, Paris etc. « Reste à trouver la perle rare, c’est à dire le missionnaire… ». Lilienthal, membre de la chambre et le plus autorisé pour les questions asiatiques désigne Paul Brunat. Jean François KLEIN, dans son mémoire « Lyon à la découverte de l’Indochine, Mission Brunat 1884 1885 » dit en parlant de Paul Brunat : « C’est l’homme providentiel dont on avait besoin, spécialiste de l’extrême orient et des questions soyeuses. Approbation de la CCI qui ne pouvait trouver un délégué mieux préparé, plus autorisé, plus recommandable et plus dignes que Paul Brunat …Il offrait toutes les compétences particulières pour les questions touchant à l’industrie de la Soie » Le 23 juin 1884, Félix Faure adresse un courrier recommandant Paul Brunat aux autorités militaires et civiles du Tonkin pour l’aider à l’exécution de sa mission. Il ouvre un budget de 15 000f destiné à couvrir les frais de l’exploration. Sa mission consiste à recueillir des renseignements sur les mœurs, les coutumes, les besoins des populations indigènes, l’agriculture et les ressources que notre colonie peut offrir à l’industrie lyonnaise en tant que récolte de la soie. « … C’est une mission d’intérêt national dont le but est de ne pas laisser dans les mains de nations rivales les fruits de la victoire de nos soldats. Nous serions heureux de faire bénéficier les industriels de votre circonscription des renseignements que Paul Brunat rapportera de son voyage… ». Extrait de son ordre de mission. Le 19 juillet 1884, Paul Brunat donne son accord. Dans le journal « L’Impérial » du 24 Juillet 1884, La chambre de commerce de Lyon dit qu ‘elle ne pouvait trouver un mandataire mieux préparé, plus autorisé et plus digne de confiance ; elle rappelle aussi la création de la filature de Kee Chong, à Shanghai, qui a une réputation méritée en Europe. Le 12 août 1884, le Ministre du commerce Mr Herisson dit que la mission Brunat est reconnue d’intérêt national par Jules Ferry. Le mandat de Paul Brunat est plus proche de celui d’un agent consulaire que d’un simple explorateur. Lyon n’a plus à craindre la concurrence et marche en tête de la course au Tonkin. Arrivé au Tonkin, Paul Brunat commence ses recherches, il apprend à se familiariser avec les hommes et les choses, il faut tout apprendre. Il fait la tournée des coloniaux, recueille de nombreux témoignages et peut ainsi se faire une idée la plus impartiale possible. Il veut aussi explorer le delta du fleuve rouge, mais les difficultés de communication, la mauvaise volonté de son personnel et le manque de garnison au sud du Tonkin, l’obligent à modifier son projet. Il limite ses enquêtes aux zones pacifiées et n’explore que le tiers du pays. Le 1 décembre 1884, il embarque sur le « Mitho » pour gagner Marseille via Saigon. Le jour de son départ, le Tonkin reçoit l’autorisation d’exporter les surplus de sa production rizicole. Un nouveau pas vient d’être franchi sur le chemin de l’exploitation commerciale. Le rapport de Paul Brunat arrive à point. Le 2 janvier 1885, Paul Brunat accoste à Marseille sur un paquebot des Messageries maritimes. Par le PLM, il gagne Neuilly où l’attend sa famille. Il s’arrête à Lyon pour donner à la CCI ses premières impressions : Mais cette mission et Jules Ferry qui l’a encouragée sont attaqués par les parlementaires, on est au bord d’une crise. Elle entraîne une version édulcorée du rapport. Paul Brunat ne doit rester qu’un simple délégué du commerce français, mission pour laquelle il a été nommé. Le 18 février 1885, Paul Brunat présente, à la CCI de Lyon, son rapport corrigé sur l’exploration commerciale du Tonkin. Jules Ferry reconnaîtra que : « cette étude est la plus sérieuse établie sur cette région ». Si la France veut garder sa place au Tonkin, elle doit lutter contre les industries anglaise, allemande et américaine. Paul Brunat occupe les fonctions de: En juillet 1895, Paul Claudel nommé Chancelier au Consulat Général de France, arrive à Shanghai. Ils auront de très nombreuses rencontres. En 1890, lors de la réception de Mr Lanessan, gouverneur général de l’Indochine, Ulysse Pila dit de Paul Brunat « …notre chambre de commerce, en parlant de la CCI de Lyon, toujours pleine d’initiative, a eu la bonne pensée, dés 1885,…d’envoyer une personnalité compétente pour explorer le pays. Elle eut la main heureuse dans son choix de désigner Monsieur Paul Brunat, presque Lyonnais, si sympathique à nous tous, qui, par son travail et son devoir, a rendu indirectement de si grands services à la fabrique lyonnaise. Je relisais son rapport, il est frappant de vérité. On aurait à l’écrire aujourd’hui, cinq ans après, on ne décrirait pas autrement l’avenir réservé au pays… » Paul Brunat est nommé Chevalier de la Légion d’Honneur par décret du 14 décembre 1900, pour service rendu en Chine. A cette époque, il est toujours négociant en soie et Président du conseil municipal de la concession française de Shanghai. Une avenue porte le nom de Paul Brunat « Administrateur intelligent et persévérant qui, sans se laisser arrêter par les craintes des timides, acheva l’œuvre appelée à centupler la valeur de la concession française » citation de la revue géographique de 1902. A l’occasion de l’Exposition universelle, il reçoit cette distinction, où il est applaudi par ses nombreux amis et par tout le commerce des soies qui avaient appuyé cette demande auprès des pouvoirs publics. 1903, Paul Brunat attend, à Marseille, sa fille et son petit fils andré Schlumberger, alors âgé de 17 mois. Malheureusement, il ne trouvera que son petit fils et sa nourrice chinoise, car sa fille est morte en Mer rouge où son corps a été immergé. En septembre 1907, quand Paul Brunat rentre de Chine, cela reste à vérifier, il passe par le Japon et visite Tomioka. La société de soie à coudre « lui présente un témoignage et lui décerne un médaillon pour ses accomplissements ». Le 7 mai 1908, Paul Brunat décède au 48 boulevard Emile Augier à Paris. Il est enterré le 9 mai 1908, dans le tombeau de la famille Lefébure-Welly au Père LaChaise. Les honneurs militaires lui seront rendus. Hasard du calendrier, environ 103 ans après sa mort, nous faisons connaître Paul Brunat.
Jacques Breysses, chercheur au Cdhte-Cnam et Colette Trouvin, chercheur au Cnam-MS qui ont fait des recherches sur notre péageois et consigné celles-ci dans un document « Paul Brunat, un médiateur entre deux civilisations », donnent une réponse possible : - « …malgré les nombreux rapports écrits Paul Brunat a fait parvenir à la Chambre de commerce et d’industrie de Lyon, ceux ci sont restés dans le réseau des grands fabricants lyonnais et n’ont pas reçu un écho national ». L’Ambassadeur du Japon en France, Mr Yutaka Limura, parlant de la modernisation de son pays, lors d’une exposition à Lyon en 2009, dit que : - « …Sans l’aide de la France et de Paul Brunat, la modernisation du Japon aurait sûrement été très différente. » |